L’Economie Sociale et Solidaire (ESS) regroupe des organisations aux profils très variés, de l’association sportive de quartier aux groupes médico-social de plusieurs milliers de salariés en passant par les coopératives ou les mutuelles. Ainsi comprendre l’ESS c’est d’abord être conscient de la variété de ce spectre en termes de modèle économique, de taille ou de finalité sociale.
Pourtant au-delà de cette diversité, ces organisations sont de plus en plus conscientes qu’elles partagent un destin commun, celui de proposer des solutions entrepreneuriales à des problèmes sociaux encore non résolus. Le concept d’ESS est en train de fédérer un nombre croissant d’organisations qui partagent un certain nombre de caractéristiques communes.
Un peu d’histoire …
Si aujourd’hui les termes « économie sociale » et « économie solidaire » se complètent et font parties d’un même champ, il n’en a pas toujours été ainsi. En effet, depuis plus d’un siècle, l’économie sociale rassemble trois grands types d’organisations : les mutuelles orientées vers la protection de leurs membres, les coopératives – très diverses – créées pour assurer une solidarité entre coopérateurs et enfin les associations au statut souple. Ces organisations sont identifiées par leur statut, ce sont des sociétés de personnes (non de capitaux) avec un principe de gestion démocratique et leur but n’est pas le profit. Ainsi, depuis la fin du XIXème siècle en France, l’économie sociale s’est structurée sous l’impulsion du mouvement ouvrier, du socialisme utopique et du christianisme social avec des premières initiatives comme les « sociétés de secours mutuel ». Toutes ces idées, promues par Charles Gide le théoricien du mouvement coopératif français, trouvent leur apogée lors de l’exposition universelle de 1900 où un pavillon entier leur est consacré, avant de tomber dans l’oubli jusque les années 70. C’est à ce moment qu’une forme de production de richesses distinctes des modèles capitaliste ou communiste se cherche en se tournant vers les coopératives, les mutuelles et les associations employeuses sans faire cependant référence à la tradition historique. Pour cette « nouvelle » économie sociale, c’est la gestion démocratique qui doit être le principal critère qui caractérise une entreprise de l’ESS.
Depuis les années 80, des initiatives se rassemblent sous la bannière économie solidaire pour insister sur la finalité de leurs actions. Elles renouent ainsi avec l’héritage de la première moitié du XIXème en définissant par la solidarité, la solidarité entre les générations futures (d’où l’importance des préoccupations environnementales), entre personnes d’âge et de sexe différents, solidarité entre territoires (nord et sud avec en particulier le commerce équitable) et solidarité entre proches et vis-à-vis des plus démunis. Ces solidarités se traduisent dans des domaines très différents comme la production, l’insertion sociale, le développement local, le secteur culturel, la production, la consommation ou encore la finance. Pour les porteurs de l’économie solidaire la dimension démocratique n’est pas suffisante pour caractériser une entreprise de l’ESS et c’est pourquoi ils adoptent des statuts qui paraissent plus adaptés à leurs missions et sortent des statuts historiques de l’économie sociale.
Toutefois, l’entrepreneuriat social très en vogue depuis 10 ans souffre d’un flou dans sa définition. La loi ESS tente de répondre à ces questions (cf. focus) et pour faire court, on peut admettre que les différences entre les entrepreneurs sociaux et les entrepreneurs commerciaux – qui, en créant des emplois et en fournissant des biens et services, ont aussi clairement un impact social – est que les premiers créent leur activité afin de produire un impact social : répondre à des enjeux sociaux représente leur but explicite, et l’ensemble de leur projet est bâti autour de cet objectif (A. Noya – OCDE).
L’ESS aujourd’hui
Ainsi, aujourd’hui l’ESS ne se caractérise ni par un statut, ni par un code NAF, ni par une taille d’entreprise, ni par un territoire, ni par un secteur d’activité. Elle regroupe les acteurs historiques et les sociétés commerciales qui poursuivent un but d’utilité sociale. Toutes les entreprises ESS se conforment donc à un but autre que le seul partage des bénéfices, une gouvernance démocratique, une utilisation de la majeure partie des bénéfices dans le développement de l’activité de l’entreprise, la recherche d’une utilité sociale à titre principale en y affectant une part significative de leur bénéfice et une politique de rémunération encadrée. Cette convergence de définition ouvre aujourd’hui la porte à la structuration de la représentation de l’ESS (groupements sectoriels, CRESS et futur conseil supérieur de l’ESS).
S’il y a une grande diversité d’acteurs et de structures, ceux-ci partagent cependant trois grandes caractéristiques communes. Elles ont des modèles économiques hybrides, des modes de gouvernances spécifiques et un ancrage territorial fort.
Le défi des entreprises de l’ESS est d’équilibrer leur modèle économique pour atteindre leurs objectifs sociaux et cela impose de la créativité et de l’innovation pour définir des modèles économiques hybrides. D’une part elles vont réinvestir la plupart de leurs bénéfices dans le projet lui-même et vont miser sur l’hybridation de leurs ressources (ventes de produits et services, ressources privées, fonds publics). Pour aller plus loin dans l’hybridation des ressources il devient nécessaire de créer de nouveaux « véhicules » juridiques spécifiques adaptés à chaque type de ressources afin de les optimiser et de les sécuriser. Ce qui ajoute à la complexité des montages juridiques et financiers.
La gouvernance participative, démocratique, est une spécificité des entreprises de l’ESS. Non seulement les statuts historiques des acteurs de l’ESS l’imposent, mais elle est indispensable pour sécuriser la mission sociale des structures et témoigne des liens entre l’entreprise, ses partenaires et ses bénéficiaires. Ainsi, la gouvernance démocratique, complexe à orchestrer, peut cependant être un facteur de réussite en impliquant durablement dans les décisions les acteurs majeurs de l’entreprise – salariés, financeurs – et du territoire – bénéficiaires, collectivités locales, citoyens, partenaires, etc. – et en faisant de celle-ci un objet partagé dont tout le monde se sent responsable et ambassadeur
Cette gouvernance qui associe entre autres des particuliers, des collectivités, a pour conséquence positive d’offrir un ancrage territorial fort des entreprises de l’ESS. Souvent, les produits et les services de proximité qu’elles proposent contribuent à la création d’emplois non délocalisables.
La Loi ESS 2014
Ce texte qui vise à définir le secteur et lui donner les moyens de se développer, votée en première lecture à l’Assemblée Nationale, attend sa deuxième lecture le 3 juillet prochain avant la clôture de l’exercice législatif et avant les choses sérieuses : la mise en application !
Après la Bolivie, l’Équateur ou l’Espagne, la France est le quatrième pays à se doter d’une loi pour le secteur de l’économie économie sociale et solidaire – dite loi ESS.
Cette loi tente de dessiner les contours de ce secteur, de le doter d’un cadre propice à son développement et se découpe grosso modo en six grands chapitres.
Le premier (articles 1 à 10) est consacré à la définition du champ de l’économie sociale et solidaire et à la structuration des politiques qui y concourent. Le deuxième (article 11 et 12) comprend des dispositions facilitant la transmission d’entreprises à leurs salariés. Ces deux parties ont fait l’objet des débats les plus vigoureux.Suivent ensuite des chapitres sectoriels, avec des dispositifs particuliers à chaque grande famille de l’ESS?: les coopératives (articles 13 à 33), les mutuelles, sociétés d’assurances et institutions de prévoyance (articles 34 à 39), les associations (articles 40 à 44), les fondations et fonds de dotation (articles 45 à 48).
Chiffres-clés
• 10% du PIB de la France
• 222 900 structures
• 2,34 millions de salariés soit 10,3% de l’emploi français
• + 23 % d’emplois créés depuis dix ans
• De 7,6 à 9% des employeurs en Alsace, soit 5684 entreprises de l’ESS en région
• 6,1% du secteur agricole concerné par l’ESS (8ème sur 11 secteurs de l’économie)
Sources du dossier :
www.gouvernement.fr
www.les-scic.coop
www.avise.org
Séverin Husson. La Croix. 20/05/2014
Stratégie et financement des entreprises sociales et solidaires. A. Barthélémy. S. Keller. R. Slitine. Ed Rue de l’échiquier. 2014.
La nouvelle Alternative ? Enquête sur l’économie sociale et solidaire. P. Frémeaux. Alternatives économiques. 2013.